samedi 14 mars 2020

Compte-rendu du 71e soir d'Hiver Solidaire 2020


D'un soir à l'autre, d'un bénévole à l'autre un lien se noue avec les personnes de la rue accueillies dans le cadre d'Hiver solidaire à Saint-Vincent-de-Paul. 
Le compte-rendu du matin, comme un passage de relais, témoigne chaque jour de ces moments partagés.

Vendredi 13 mars, Bah, Daniel et Petru ont été accueillis par Virginie, Antoinette, Ahmed, Laurent et Bertrand.


La soupe aux huîtres, 1942, Paul Jacoulet (1896-1960), 
aquarelle et dessin au crayon sur papier, 
Paris, musée du quai Branly - Jacques Chirac
Petru nous distribue à l’arrivée du gel hydro alcoolique... avant de nous attraper affectueusement à pleines mains pour nous montrer comment ouvrir la crypte... et que nous lui rappelions qu’il faudra attendre quelques semaines avant de retrouver nos bonnes vieilles habitudes tactiles latines. 
Samson annoncera plusieurs fois son arrivée dans la soirée... mais ne viendra pas. Nous leur annonçons l’arrivée de Michel dimanche soir. Il manque du savon et presque plus de gel hydroalcoolique.
Salade de saumon et pommes de terre, riz au curry, poulet et légumes, gâteau aux pommes et vanille. 
Bah pense qu’Antoinette devrait ouvrir un restaurant africain à Château d’eau. 
Dan disserte sur les desserts salés (les « comtesses », des petits sablés guyanais) et son enfance dans l’arrière-cuisine du restaurant de sa grand-mère et son père. 
Ahmed regrette qu’il n’y ait plus de soupe à son foyer ni ce soir (« la soupe est morte avec le coronavirus ») et au contraire Dan se réjouit que Virginie ait un peu varié les plaisirs pour les entrées. Il part donc dans une caricature délirante des paroissiens - difficile à retranscrire par écrit sans pouvoir reprendre notamment son intonation de voix - qui déclenche les fous rires. Il se représente en effet en tant que jury - malgré lui ! - d’un concours de soupe (« gouttez ma soupe, elle est pas bonne, elle est au butternut » !).
Soirée calme et détendue, presque hors du temps : on passe des internats irlandais de la seconde guerre mondiale - très précaires avec un semblant de toilette une fois par semaine - aux considérations sur l’impact des marées sur notre équilibre interne et notre capacité à produire de l’électricité avec notre corps en passant par la description d’Ahmed de sa nouvelle vie dans le douzième qu’il semble apprécier... à partir du moment où il peut continuer à « retourner en famille » deux jours par semaine dormir dans la crypte. 

Tête du Christ, Rembrandt (1606-1669), 
huile sur bois, 35,8 x 31,2 cm, Philadelphie (Pa.), Philadelphia Museum of Art
Pendant la vaisselle, Bah nous fait un cours sur les classifications du rap (celui du 9.1, du 9.2, du 9.3 et de catégorie A, B ou C n’ont bien sûr « strictement rien à voir ») avant que Dan ne pousse la chansonnette avec sa voix de crooner pour Antoinette et nous dévoile sa chanson dédiée à Bah. 
Nous finissons la soirée par une chasse à la souris trouvée en haut des escaliers : l’instrument utilisé pour tenter de l’empêcher de descendre à la crypte – pris pour une planche avant de se révéler sous son vrai visage, un portrait du Christ - ne sera pas très efficace pour l’empêcher de devenir une nouvelle bénévole de nuit.
En sortant, un passage par la boulangerie Carton me permet de le remercier au nom d’Hiver Solidaire. Il répond que c’est normal, qu’il est « croyant », nous échangeons sur nos différentes conceptions de l’aumône et il me dit que par ces temps troublés (il fait référence à Caïn et Abel) il espère que nous saurons garder une certaine fraternité et l’aumône du sourire…