lundi 14 février 2022

"dis-moi avec qui tu manges"

Si Brillat-Savarin a popularisé en 1825 dans son Traité de physiologie du goût l’adage selon lequel  Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es, cela ne suffit pas, il faut dire aussi dis moi avec qui tu manges et je te dirai ce que tu es.

Intérieur de cuisine Anonyme flamand, XVIe siècle, huile sur bois,
56,5 x 74 cm, Lille, Palais des Beaux-Arts


















Ce blog aurait pu se nommer "Chroniques de repas partagés", le repas, cet acte si banal, est en réalité de si grande portée humaine !

Les bénévoles d'hiver solidaire qui préparent les repas et les partagent avec les personnes de la rue accueillies dans la crypte de l'église Saint-Vincent de Paul chaque soir de janvier à mars, mitonnent de très bons petits plats. Cela demande du temps, de l'imagination, une grande générosité.

Nature morte aux légumes, 1905, Henri  Matisse (1869-1954),
huile sur toile, 3!,4 x 46 cm, NY The MET




















L'excellente soupe de potiron de Matthieu,
la salade de mâche, avocat, crevettes et pamplemousse de Philipine,
l'exquise soupe de Butternut au lait de coco de Paul et Vanessa,
la tarte aux poireaux délicieuse d'Agnès,
La salade de champignons et les concombres à la crème très savoureux de Marie,
la soupe au potimarron & croûtons de Marguerite que tout le monde apprécie,
la soupe aux neufs légumes de Marie et Alexandre,
la surprenante soupe de choux fleur de Laurent,
ou le réconfortant cake aux poireaux de Virginie,

et tant d'autres fameuses entrées !

Coq domestique, poules et poussins, 1655, Francis Barlow (1624-1704),
huile sur toile, 83,! x 99,1 cm,New Haven, Yale Center for British Art



















Suivies, c'est selon, par
le renversant mafé de poulet de Clothilde,
le dhal mémorable de Sarah grâce à ses épices torréfiées,
le délicieux poulet aux champignons de Anne,
le couscous végétarien de Paul,
la délicieuse Tatin aux légumes d'Anne-Lise et Bruno,
l'incroyable poulet aux abricots, câpres et autres ingrédients secrets de Laurence et Florence,
le riz frit aux crevettes d'Adeline et Laurent,
les merveilleuses St Jacques aux girolles de Laurent,
le curry vert en variante épicée ou non épicée de Véronique et Corinne,
le mémorable crumble à la ratatouille de Sixtine et Xavier,
la véritable tortilla espagnole bien épaisse d'Irène et Thibaut,
et le "plat du dimanche" spécial de Sarah à base de riz, de ton, tomates, câpres et épices,

La liste n'est pas exhaustive...

Still Life with Teapot and Fruit, 1896, Paul Gauguin (1848–1903) 
huile sur toile, 47,6 x 66 cm, NY The MET


















Non plus que celle des délices sucrées qui subliment les repas d'Hiver Solidaire,

La généreuse mousse au chocolat de Virginie,
Le grand gâteau aux pommes d'Anne-Lise,
Le riz au lait exquis de Marie,
Le cake aux poires accompagné de crème anglaise de Paul et Vanessa,
Le gâteau à la fleur d'oranger de Cléo,
la tuerie au chocolat de Blanche et Pierre-Amans,
et l'inoubliable tarte au pamplemousse meringuée d'Anne-Lise et Bruno,

entre autres douceurs...

Les bénévoles ont fait de cette table une des plus solidaires et des meilleures du quartier !


La Cène, 1911, André Derain (1880-1954), huile sur toile, 227 x 288 cm,
 Chicago, The Art Institute of Chicago
 

















«
 Se mettre à table signifie bien autre chose que la simple satisfaction d’un besoin de nourriture.
Le repas crée un cercle, il est un moment d’échanges et de rapports privilégiés (…)» entre les personnes accueillies et les bénévoles dont certains vont rester dans la crypte pour la nuit.
« Le repas, lorsqu’il est partagé, ouvre un cercle spirituel qui peut être tout aussi bien l’occasion de discours anodins, de badinages légers, que d’échanges sérieux.
Le cercle des visages, le jeux des regards, les jeux d’esprit ou de séduction.
La table nous invite parfois à une sorte d’élévation ou de transmutation. 
»*

« Comment faire de la nourriture un sacrement ou un signe de la Présence divine autant qu’une source de rassasiement ? Comment transformer l’acte de manger en une expérience de communion plus que de simple consommation ? »** 

En  préparant et/ou partageant un repas avec les personnes de la rue à Hiver Solidaire évidemment !





*
Martine Gasparov, Bibliothèque nationale de France - BnF /La philosophie du quotidien | Le corps #6 Philosophie du repas
**Michel Maxime Egger, sociologue, écothéologien










mercredi 2 février 2022

10 ans et un mois...

L'Annonciation, détail de la main de la Vierge,
Rogier Van der Weyden (1399-1464),
huile sur bois, 86 x 93 cm,Paris, musée du Louvre
« Hiver Solidaire, 10 ans, un chiffre rond pour une action qui tourne bien.
C'est une initiative du diocèse pour mettre à l'abri, pendant les 3 mois d'hiver, des personnes vivant dans la rue.
Ici à Saint-Vincent-de-Paul, une centaine de bénévoles se relaient pour être présents à 20 heures, partager avec les accueillis un dîner préparé, dormir sur place, partager le petit-déjeuner. (...).

Il serait trop long de détailler ce qui se vit année après année,
je voudrais juste partager deux choses :

    la première est que cette action solidaire m'a beaucoup dérangée ; j'avais mes petites cases bien organisées, avec d'un côté ceux qui sont dans la rue et qui sont par nature faibles, fragiles, pauvres de tout, et nous de l'autre côté, les "bons" de l'affaire, les généreux, les forts, les 'sachants'.

Ces 10 années m'ont permis de faire voler ces cases en éclats. J'ai rencontré des personnes d'une générosité que je n'imaginais pas, capables de ne pas nous tenir rigueur de nos maladresses, capables de respecter les règles que nous avions posées et qui ont pu leur paraître parfois absurdes ou trop dures. Des personnes qui avaient envie de faire plaisir, de nous faire plaisir, de s'entraider et de nouer des relations d'amitiés avec tous. En gros, j'ai rencontré plus généreux que nous, que moi au moins.


La Nativité mystique, détail, Sandro Botticelli (1445-1510), huile sur toile, 108,5 × 74,9 cm,
National Gallery de Londres.
   
    la seconde chose que je souhaite partager, c'est la façon toute particulière dont nous fonctionnons, les quelques 12 personnes qui composent le groupe pilote d'Hiver Solidaire, C'est un fonctionnement collégial ; les choix sont discutés ensemble et c'est ensemble que nous décidons de ce qui peut ou doit être fait. Cela concerne le choix des personnes que nous accueillons, les règles de vie pendant Hiver Solidaire, ce que nous voulons mettre en place pour les personnes accueillies après les 3 mois passés à se connaître, à s'apprivoiser.
Ce fonctionnement collégial permet que la responsabilité ne repose pas sur une seule personne, avec l'inquiétude qui va avec.
Ensemble, nous sommes à la fois plus prudents et plus courageux. »

Ainsi témoignait Véronique en décembre dernier pour les 10 ans d'Hiver Solidaire à Saint-Vincent-de-Paul.


  

L’Annonciation, 1481, détail de l'ange, Sandro Botticelli  (1445 – 1510).
Fresque transposée, 550 x 243 cm, Florence, Galerie des Offices
     Au seuil de la saison 2022 qui commence le dimanche 2 janvier avec trois personnes accueillies, Sarah partage avec l'équipe des bénévoles une phrase imprimée au dos d'une carte de vœux reçue la veille : N'oubliez pas l'hospitalité . Grâce à elle, certains, sans le savoir, ont accueilli des anges ! (Lettre aux Hébreux 13.2)

« Que Dieu bénisse Hiver Solidaire. » écrit Damien au lendemain du second jour où est accueillie une quatrième personne.

    Le 7e soir, Bertrand « constate à nouveau la frontière subtile entre "se montrer chaleureux et intéressé par l'autre" et "ne pas être trop intrusif" en ne posant pas trop de questions directes auxquelles ils peuvent être lassés de répondre tous les soirs, voire les trouver trop personnelles. »




    Le 8e soir, certains accueillis expliquent à Anne que dans leur pays, les personnes âgées sont respectées, écoutées et traités comme des sages de qui les conseils sont bons à suivre !

Cinq anges dansant au pied d’un trône, vers 1430, 
Giovanni di Paolo (Sienne, 1398 - id., 1482),
Tempera sur panneau de peuplier, Chantilly, musée Condé
 

Et le 10e soir : surprise ! sur la grille de la crypte, un sac est accroché avec 5 jolis sachets de sablés maison avec un adorable petit mot « pour Hiver Solidaire, de la part d'un couple de personnes âgées ». Véronique trouve « qu'ils ont un cœur extrêmement jeune et généreux, et les sablés sont délicieux ! Ne pleurez pas les suivants, il en reste...»

Les accueillis sont 5 à présent.


« 
Un peu avant que sonne la cloche, tous étaient partis. », écrit Pierre au matin du 17e jour.





Bougie, 1982,  Gerhard Richter (né en 1932), Huile sur toile,
90 cm x 95 cm, collection privée
« N. allume la bougie posée sur la table. Avec cette nappe à carreaux rouge et blanche et cette bougie qui éclaire à peine la table, on se croirait dans une trattoria du centre de Rome.», sourit Virginie le soir suivant.


« À 8 heures, je ferme cette parenthèse paisible de fraternité dans l’adversité. » note Roland un matin de brume.


« M. dort mal et fait des cauchemars, il est très touchant dans sa détresse, je lui promets de prier pour lui .»,  raconte le père Paul.






Football, Robert Delaunay (1885-1941), aquarelle sur carton,
 41,5 x 61 cm, Paris, centre George Pompidou

« Discussion très facile hier soir, en commençant par parler foot, la CAN, le Mali premier de son groupe, les ivoiriens favoris, etc. On a ensuite parlé des élections en France, puis de la situation politique au Mali où il faudra attendre très longtemps avant les prochaines élections, … C’était très intéressant comme échange.» se réjouit Patrice le 20e jour.


Deux jours plus tard, Virginie conclue : «  Nous sommes 9 autour de la table à jouer ensemble et c'est très agréable de voir le sourire sur le visage apaisé de chacun.»