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Le Messie, groupe de marbre sculpté par Albert-Ernest Carrier-Belleuse (1824-1887) Chapelle de la Vierge, église Saint-Vincent-de-Paul |
Dimanche 8 mars à 18h30, la messe de la paroisse Saint-Vincent-de-Paul fut célébrée dans la chapelle de la Vierge pour Hiver solidaire, en présence d'Alain, Patrick, Saïd et Michel, entourés par les bénévoles. Augustin, l'un d'entre eux prit la parole au nom de tous : un texte profond et bouleversant que nous pouvons goûter à nouveau ici.
« S’il m’est
permis de parler de l’expérience d’Hiver solidaire au nom des
nombreux bénévoles qui sont présents d’un soir sur l’autre à
la Maison de jeunes, je ne me hasarderai pas à parler de la
difficile charité, mais de la réalité simple et assez facile de ce
qui est « une riche expérience ».
Car concrètement, ce que nous
échangeons autour de Patrick, d’Alain, de Saïd, de Franzy, de
Michel et d’Alain est l’occasion d’une prise de conscience dont
pour ma part, je voudrais détailler deux aspects : il est important d’oser regarder
les autres en face, la solitude peut être le problème
de chacun.»
Lever les
yeux sur ceux qui sont là
«Je vous propose
une définition large de la générosité. La générosité au sens
étroit, c’est le fait de donner. Mais la générosité au sens
large, c’est d’abord le fait d’aimer la vie et de ne pas
baisser les yeux devant, et surtout pas devant le visage de l’autre.
Le fait de regarder son prochain dans les yeux pour tenir son cœur
prêt à le considérer. Le contraire de la générosité en ce sens,
ce serait une sorte de timidité.
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Tête de femme, les yeux levés, dessin de Charles Louis Müller (1815-1869) Musée du Louvre, Paris. |
Pour m’expliquer, je me permets de
faire un petit détour par le philosophe Emmanuel Levinas, qui dit
bien les choses. On dit que l’enfer c’est les autres, mais
Levinas au contraire, nous dit que le regard de l’autre est une
« épiphanie » qui nous apporte beaucoup à
nous-même, qui nous révèle quelque chose de l’homme que nous ne
pourrions trouver seulement en nous-même, qui nous permet d’arriver
au sentiment de la morale, et peut-être à Dieu. «
Le
visage, écrit-il,
s’impose à moi sans que je puisse cesser d’être responsable de
sa misère”.
Dans son incarnation
d’homme, le Christ nous offre son visage à regarder, et il plonge
ses yeux dans les nôtres. Il nous dit de considérer à travers la
sienne, notre condition et celle de nos frères. Peut-être notre
devoir de chrétien est-il donc de considérer d’abord autrui en le
regardant.
Avant d’être théorique c’est
pratique, si on pense à la façon que nous avons si souvent de
détourner les yeux, dans la rue, du « gas qu’on croise et
qu’on ne regarde pas ». Nous ne
sommes pas généreux
et nous ne sommes
pas chrétiens,
lorsque, dans le métro ou dans la rue, sous le couvert de la
délicatesse, nous faisons flotter notre regard à hauteur des
chevilles et nous évitons les uns les autres.
Hiver solidaire, ce
n’est pas beaucoup plus. C’est un petit cadre qui nous permet
d’être vraiment des hommes les uns envers les autres : pourquoi ne
pas nous asseoir à la même table et lever les yeux sur ceux qui
tout simplement sont là ?
C’est vraiment
l’inspiration de Fr. Ozanam et des conférences de St V de P de ne
pas se projeter dans une action de charité lointaine et hors de tout
contact, mais de regarder d’abord ce qui se passe au coin de la rue
et de faire ce que l’on peut, où l’on se trouve, avec ceux qui
s’y trouvent aussi.
Nous avons besoin de
vous, Saïd, Alain, Michel, Patrick, et Alain et Franzy, pour être
des personnes, et n’être pas à côté les uns des autres comme le
sont des atomes.»
La solitude
«L’un de nous me disait : « On
sent l’esprit de Saint Vincent de Paul qui plane sur ce quartier ».
C’est vrai, en quelque sorte, que ce quartier de Paris est marqué
et que l’esprit est là. Mais ce que nous faisons ne peut pas
ressembler à ce que pouvaient faire St V de P et ses compagnons en
leur temps. Parce que cet individualisme moral et matériel dans
lequel nous prospérons désormais redéfinit les termes de toute
action de solidarité, et que le mal a changé d’aspect.
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Solitude, photographie de Daniel Masclet (1882-1969) Musée national d'art moderne, Centre Pompidou, Paris. |
Nous ne parlerons plus de don, mais
d’échange. Nous ne parlerons plus de misère mais de solitude. La
solitude était, s’il est utile de le rappeler, grande cause
nationale en 2011, mais à Paris, il faudrait qu’elle soit non une
grande cause mais une très grande cause, et pas en 2011 mais tous
les jours. Dans une ville où plus d’une personne sur trois dit
ressentir les effets de la solitude, elle ne regarde pas la fortune
ou la condition sociale de celui qu’elle frappe. C’est dire que
le besoin d’échange ne concerne pas que les gens de la rue, et
peut-être pas, au fond, les gens de la rue plus que les autres.
Et à cause de cette solitude, plus que
jamais, celui qui donne est aussi celui qui reçoit. Et plus que
jamais, assis autour de la même table, nous sommes les mêmes, au
même plan, au même rang, et nous luttons ensemble contre la même
indifférence ou le même silence.
La présence des gens de la rue nous
invite à réenvisager notre propre mode de vie, celui que nous
croyons infaillible et qui ne l’est pas. Nombre de sociologues, de
juristes et d’économistes aujourd’hui qui se penchent sur les
évolutions à venir, dans l’organisation de notre fourmilière
sociale, pronostiquent que, pour des raisons de coût, de
viabilité, de faisabilité, nous ne pourrons pas continuer longtemps
de vivre les uns à côté des autres comme nous le faisons
jusqu’ici, et que de plus en plus, nous allons devoir vivre les uns
avec les autres. Alors ne boudons pas notre plaisir de le
dire en Église : en suivant l’Évangile et en vivant le
partage, nous sommes à la pointe de la pointe ! Ne lâchons
rien !
La cuisine de la chapelle de la maison
des Jeunes est, chaque soir à 20h00, un lieu moins absurde que les
autres. Un lieu économiquement plus rationnel, socialement plus
normal, humainement plus riche, parce qu’une grande marmite chauffe
pour huit, et non pas huit petites marmites pour huit personnes
toutes seules.
»
Augustin, la voix chargée d'émotion, conclut :
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Étude, mains jointes du Chirst de la vierge Marie,
Dessin d'Andrea del Sarto (1486-1531)
Musée du Louvre, Paris. |
L’échange nous met tous dans le même bain
«L’expérience d’Hiver solidaire,
initiée par l’évêché, dans le périmètre de notre paroisse de
Saint Vincent de Paul, c’est cela avant tout. Ce qu’elle apporte
en premier lieu, c’est du lien, de l’échange entre nous.
Quand je dis « nous », c’est « nous », ce
n’est pas « eux et nous », mais « nous tous »,
car nous recevons tous, mangeons tous la même soupe, partageons les
mêmes discussions et les mêmes cigarettes, et nous réchauffons
tous à la même source : celle d’une fraternité qui
s’impose, d’une présence simple des uns aux autres.
Sans cela, sans cet échange, sans ces
paroles, sans le regard et la présence des autres, dans nos cœurs
et dans nos consciences, nous serions tous morts de froid.»